Les émotions chez le cheval
Bien que Darwin ait publié dès 1872 un livre intitulé « The Expression of the Emotions in Man and Animals », la majorité des scientifiques s’est longtemps interdit de parler ouvertement d’émotion chez les animaux. Cette époque semble maintenant révolue. Ainsi, il est maintenant reconnu que les émotions sont au cœur de la perception de son environnement par l’animal. Elles participent donc à son état de bien-être ou de mal-être. Qu’en est-il pour le cheval ? Ressent-il des émotions ? Comment peut-on les reconnaître et en tenir compte dans sa gestion quotidienne et son entraînement ?
Qu’est-ce qu’une émotion ou un état émotionnel ?
Une émotion est une réaction transitoire à un événement déclenchant, associée à des modifications comportementales au niveau des expressions faciales, des vocalisations, de l’activité, des postures, de la fuite, du combat, des approches, de l’investigation. Les modifications peuvent être physiologiques sur les rythmes cardiaque et respiratoire, la pression sanguine, la transpiration, et les taux hormonaux. Elles peuvent aussi être cognitives avec la perception, l’analyse et la mémorisation de l’information par le cerveau.
Chez le cheval par exemple, une émotion négative, comme la peur, provoque évitement ou fuite et augmentation du rythme cardiaque. Une émotion positive, comme le plaisir consécutif au grattage du garrot, induit un comportement caractéristique, avec extension de la tête, mouvements des lèvres et diminution du rythme cardiaque.
Ce sont essentiellement les émotions négatives, comme la peur, qui ont été étudiées chez le cheval, probablement du fait que leur expression est plus intense et leurs conséquences plus néfastes. On sait aujourd’hui encore peu de choses sur les émotions positives. Les travaux menés chez les animaux d’élevage permettent de comprendre comment le jeu, les soins, les relations sociales aboutissent à des états où les animaux ressentent du plaisir ou encore de la joie. Une étude récente (Statton et al.) réalisée chez les chevaux a permis de répertorier des situations pouvant induire des émotions positives, comme le toilettage sur des zones préférentielles du corps. Il en est de même pour la distribution et la consommation d’un aliment appétant ou encore les comportements sociaux positifs entre individus familiers.
Au-delà de l’émotion qui est, par définition, fugace, les études récentes montrent comment l’accumulation de ces émotions peut conduire à des états affectifs prolongés, appelés états émotionnels, ressentis positivement ou négativement. Les états négatifs sont également mieux connus chez le cheval, comme l’anxiété ou la dépression. D’une façon générale, chez les animaux comme chez l’Homme, les états émotionnels négatifs vont engendrer un changement d’attention envers les menaces potentielles, une propension à mémoriser les événements négatifs et une altération du jugement. La prise en compte des émotions des chevaux dans leur gestion et leur entraînement est donc importante pour leur bien-être, leurs capacités d’apprentissage et la sécurité de leur cavalier.
Comment reconnaître une émotion ?
Peu de travaux ont été conduits sur les émotions chez le cheval, et la plupart concernent la peur, la douleur et le stress, inducteurs d’émotions négatives. C’est un champ de recherche actuellement en plein essor. Des indicateurs potentiels sont proposés dans la bibliographie, mais n’ont pas tous été complètement validés. Ce sont les indicateurs comportementaux qui sont les plus intéressants pour le cavalier/détenteur du cheval. En voici quelques exemples.
Les indicateurs de stress
Les indicateurs de stress sont potentiellement reliés à des émotions négatives. Le stress peut être induit par un grand nombre de facteurs ou de situations : la peur, la douleur, la non-satisfaction des besoins, la frustration... Il peut être aigu ou chronique. Le stress aigu chez le cheval est plutôt associé à une réactivité accrue, avec une augmentation des comportements locomoteurs, une diminution des comportements de repos, une diminution du temps d’alimentation.
Un stress aigu chez le cheval est associé également à une augmentation des comportements d’alerte : tête et encolure relevées, oreilles mobiles, yeux grand ouverts, peu d’appui sur 3 pieds, vocalisations comme les souffles d’alerte et ronflements, naseaux dilatés, frissonnements musculaires. Le stress aigu est en outre lié à augmentation des comportements de défécation. Le stress chronique a notamment été décrit chez le cheval, associé à la posture figée : tête étendue avec l’angle mâchoire encolure ouvert, encolure et dos à la même hauteur, fixité de la tête et des oreilles qui sont le plus souvent en arrière, yeux ouverts et regard fixe. Ils sont plus indifférents aux stimuli de leur environnement, mais plus réactifs aux situations de challenge dans le test du nouvel objet. Il correspond à un état émotionnel négatif.
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Les indicateurs d’inconfort ou de douleur
Les indicateurs d’inconfort ou de douleur sont également reliés à des émotions négatives. Chez les équidés, la douleur peut être reconnue à partir de modifications du comportement : agitation importante, nervosité, anxiété inhabituelle, agressivité, ou au contraire, posture stoïque avec isolement, réticence à bouger, répartition anormale ou transfert de poids, tête basse non associée au sommeil ou à la somnolence, regard fixe, naseaux dilatés, mâchoires serrées. Ces derniers critères correspondent à des expressions faciales, produites par des mouvements de la musculature sous-jacente.
Certaines douleurs ont une expression comportementale plus spécifique. Ainsi, pour des douleurs au niveau des membres, on peut observer des changements de posture, une suppression d’appui, une boiterie, une réticence à se déplacer. Un cheval qui souffre de douleurs abdominales va se rouler, se regarder les flancs, se taper le ventre avec un postérieur, se camper comme pour uriner, ou alors être peu réactif et paraître déprimé.
Le cheval peut présenter des signes d’inconfort ou de douleur uniquement quand il est travaillé. La limite entre inconfort ou douleur n’est pas bien connue. Les comportements décrits sont nombreux et variables en intensité : réticence à se déplacer, contractions, asymétries dans les incurvations, défenses, fouaillements de queue, oreilles en arrière.
Certains signes comportementaux sont plus révélateurs d’inconfort ou de douleur au niveau de la bouche, provoqués par des matériels mal adaptés ou mal utilisés (mors qui appuie sur la langue ou le palais, de taille mal adaptée...) ou du fait de blessures de la bouche, associées éventuellement à des surdents ou des dents-de-loup. Ainsi, le cheval va tenter de se débarrasser de cette gêne par différents comportements d’évitement pouvant devenir violent : appui sur le mors ou au contraire perte de contact, ouverture de la bouche, sortie de la langue, passage de la langue par-dessus le mors, enfermement ou encensement.
La position des oreilles
La position des oreilles est certainement un bon indicateur des émotions chez le cheval, dont on ne connaît pas encore toutes les significations. Des oreilles pointées en avant peuvent être signe d’alerte ou d’attention soutenue vers un événement, sans que l’on puisse vraiment le relier au caractère positif ou négatif de l’émotion. La position en arrière des oreilles pendant des périodes prolongées serait un indicateur de stress chronique, éventuellement associé à la douleur physique ou morale et reflétant donc des émotions négatives.
Les oreilles pointées en arrière, mais de façon transitoire face à un événement, sont aussi considérées comme un signe d’agressivité, également indicateur d’émotions négatives. Des oreilles en avant, dans une attitude d’attention vis-à-vis de l’Homme (regard dirigé vers l’Homme, interactions avec l’Homme), dans le cadre du travail en renforcement positif, pourraient correspondre à des émotions positives.
Les vocalisations
Les vocalisations permettent aux animaux de communiquer entre eux et sont supposées être associées à des émotions. Ainsi, l’appel de contact, vocalisation douce de la jument envers son poulain ou son soigneur, est probablement associé à une émotion positive. Au contraire, le hennissement bouche ouverte est souvent émis lorsque des chevaux sont séparés et reflète un stress, donc une émotion négative. Il en est de même du souffle ou du ronflement, émis en cas de peur.
Autres comportements
Certains comportements, faisant partie de répertoire comportemental, comme le jeu pour les jeunes et les comportements amicaux entre congénères, sont proposés comme reflétant des émotions ou états émotionnels positifs.